La compagnie du Cothurne : comment Marcel Maréchal a fait de Lyon la capitale du théâtre en France

La compagnie du Cothurne : comment Marcel Maréchal a fait de Lyon la capitale du théâtre en France
Marcel Maréchal - DR

En décembre 1958 naît la compagnie du Cothurne. Le metteur en scène et comédien Marcel Maréchal se lance dans une aventure décisive pour le dynamisme du théâtre à Lyon.

La tradition théâtrale de Lyon ne date pas d'hier. Dès le XIXe siècle, les Célestins et l'Eldorado situé cours Gambetta enchantent la bourgeoisie lyonnaise. Tandis que les cabarets agitent les milieux populaires. Quant aux écoles privées religieuses, elles ont été nombreuses à favoriser l'apprentissage du théâtre aux élèves. A la fois pour les cultiver, mais aussi leur apprendre à maîtriser leur corps, leur discours et leurs émotions.

Marcel Maréchal fut l'un d'entre eux.

Fils de camionneur, il découvre le monde du spectacle grâce à son père qui l'emmène voir des opérettes à Lyon. Ce dernier lui transmet également le virus de la scène. Membre d'une troupe amateur, il convainc facilement le jeune Marcel de faire du théâtre au collège Notre-Dame des Minimes.

L'adolescent se passionne ensuite pour le 7e art, visionnant jusqu'à six films par semaine. Il débute ensuite des études à l'Idhec, une école de cinéma à Paris.

Mais l'entreprise de transport que son père a monté fait faillite, et il doit revenir à Lyon pour travailler et aider sa famille.

Marcel Maréchal devient pion au lycée Ampère et se remet au théâtre. Il ne reste que deux mois au Conservatoire de théâtre, trouvant les cours "sans intérêt". Puis il monte quelques spectacles avec un copain d'école, François Bourgeat, notamment une adaptation des Pauvres gens de Victor Hugo.

Dans les années 1950, il y a une dizaine de compagnies de théâtre à Lyon. La grande majorité se contente de jouer des classiques, comme les Célestins ou le théâtre de Suzette Guillaud. Pour le boulevard, il y a le Théâtre de la Baleine, à proximité de la Manufacture des Tabacs. La seule compagnie lyonnaise qui monte des créations, c'est le Théâtre de la Comédie, fondé par Roger Planchon à la fin des années 40 et qui se trouve rue des Marronniers en Presqu'île.

Venant du milieu ouvrier, Marcel Maréchal avait pris l'habitude de jouer des scènes à la sortie des usines chez Berliet, Rhône-Poulenc, Ciba… L'occasion de se rendre compte que les classiques n'intéressent qu'une partie de la population. Il s'inspire aussi du travail de Jean Dasté à Saint-Etienne, qui dirige le premier centre dramatique national de province et qui fait du théâtre populaire en accueillant sous son chapiteau itinérant des gens qui n'avaient jamais vu une pièce de leur vie.

La compagnie du Cothurne est née

Un soir de décembre 1958, Marcel Maréchal décide de fonder la compagnie du Cothurne à l'occasion d'un repas à la brasserie Georges avec son ami François Bourgeat. La plupart de leurs copains d'Ecully ou du collège Notre-Dame des Minimes, férus de théâtre, les suivent dans ce projet fou de proposer des pièces de qualité et accessibles à tous. Et pour cela, il faut jouer des auteurs contemporains, tout en trouvant sa propre voie par rapport à la compagnie de Roger Planchon dont le théâtre était très politique, proche des idées marxistes.

La Compagnie du Cothurne mise donc sur le théâtre plus poétique et des textes d'auteurs comme Christopher Fry, Jacques Audiberti…

Aux côtés de Maréchal et Bourgeat, Jacques Angéniol réalise les décors des pièces. Peintre ayant fait les Beaux-arts de Lyon, il est aussi comédien.

Les premiers temps sont durs. Les maigres recettes ne suffisent pas et l'équipe doit continuer à travailler à côté : Marcel Maréchal comme pion, Jacques Angéniol comme prof de dessin et d'autres comme chauffeurs de taxi. Et dans les théâtres où ils se produisent, impossible d'embaucher, ils font tout eux-mêmes : les costumes, les décors, la vente des tickets…

Le premier spectacle "Trois auteurs, trois textes" rencontre tout de suite du succès. Les critiques repèrent la Compagnie, Roger Planchon également.

Malgré sa licence d'entrepreneur du spectacle obtenue en 1961, Marcel Maréchal n'a pas de salle pour jouer. Et c'est là que Roger Planchon arrive en sauveur. Parti à Villeurbanne, il décide de lui confier son théâtre de la rue des Marronniers que tout Lyon convoite.

Au 3 bis, la salle compte une centaine de places. Très conviviale, elle dispose de gradins et de quelques loges.

Mais la vie d'artiste n'est pas toute rose et Marcel Maréchal peine à payer ses fournisseurs. Alors quand les huissiers débarquent au théâtre du Cothurne, il est systématiquement prévenu par ses amis et prend la poudre d'escampette par la sortie de secours donnant sur le 12 de la rue de la Barre !

Après la galère, le succès

Tout se débloque en 1962, avec le succès de la Moscheta de Ruzante. Le théâtre du Cothurne est plein, il faut parfois même refuser du monde, et la Compagnie tourne. En 1964, une première subvention du ministère de la Culture tombe, après avoir joué la pièce "Cavalier seul" d'Audiberti à Paris au studio des Champs-Elysées.

Certains futurs grands noms se produisent rue des Marronniers : Pierre Arditi, Marcel Bozonnet, Maurice Bénichou…

La période est faste, car propice aux critiques de la société de consommation. Le Cothurne est clairement en phase avec un public de plus en plus contestataire.

Et en 1966, la troupe devient permanente et s'assure de toucher tous les ans une subvention du ministère. Une bouffée d'oxygène dans un contexte lyonnais plus hostile puisque la mairie de Lyon refusait d'aider la Compagnie du Cothurne. Il a fallu la mobilisation de 3000 personnes, artistes, syndicalistes et personnalités, pour que Louis Pradel cède et accorde une toute petite subvention, ainsi que le droit de jouer dans la salle des fêtes du 8e arrondissement, devenu en 1968 le théâtre du Huitième, puis en 1992 la Maison de la Danse.

En février 1968, Marcel Maréchal profite d'une réception à la préfecture du Rhône pour approcher Charles de Gaulle et lui raconter les problèmes qu'il rencontre avec Louis Pradel. L'effet est immédiat, puisque le chef de l'Etat en touche un mot au maire dès le lendemain.

Lyon s'impose comme la capitale du théâtre en France, avec Planchon et Maréchal en fers de lance. Les Lyonnais, jusqu'à présent assez conservateurs, se contentant de l'Opéra, des Célestins et de musique classique, se passionnent par les pièces jouées par leurs compagnies.

La dynamique théâtre des années 60 pousse également de jeunes metteurs en scène à programmer des auteurs contemporains. Comme Gilles Chavassieux, Jean-Louis Martinelli ou Michel Raskine, passés respectivement par le théâtre Les Ateliers et celui du Point du jour.

Au vu de l'engouement du public lyonnais, l'Etat est encouragé à créer en 1972 le TNP de Villeurbanne. Et les élus locaux comprennent que la culture est un formidable vecteur de communication pour Lyon et son image de ville internationale, et débloquent davantage de moyens financiers.

Le théâtre du Cothurne est finalement devenu un cinéma dans les années 80 : le CNP Bellecour, dont l'entrée a été déménagée sur la rue de la Barre. Et un théâtre des Marronniers a pris la suite au 7 de la rue éponyme.

"Aujourd'hui, les directeurs de théâtre subventionnés ne doivent pas oublier que leur mission, c'est de s'adresser au plus grand nombre tout en programmant des spectacles de qualité. Au lieu de se faire plaisir à eux-mêmes ou de faire plaisir à une petite élite", nous confiait Marcel Maréchal avant sa mort en 2020.

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