C’était en 2006. Nuits sonores commençait tout juste à attirer un public venu d’ailleurs, qui déboulait pour faire la fête tout le week-end - le nightclubbing, comme on le pratiquait à Berlin et Barcelone. C’était nouveau, ici. Le festival avait même lancé… une plateforme d’hébergement chez des festivaliers locaux. Un autre temps.
Après Manchester et Barcelone, une carte blanche était offerte cette année-là à la capitale française. Paris bouillonnait d’une toute nouvelle scène électronique prenant le relais de la french touch originelle, essoufflée.
Au Triptyque (rebaptisé Social Club deux ans plus tard), au Pulp, au Rex Club, dansait une nouvelle génération qui avait déjà découvert la minimale omniprésente et re-découvrait les mélanges entre hip-hop et électronique, déjà en vigueur dans les inaugurales années 1980, mais qui s’étaient dissipés lors de la décennie suivante. Elle s’entichait surtout d’artistes fraîchement débarqués sur la scène, dont la spécialité était la composition de “banger”, terme jusqu’ici inusité par la scène musicale, qui sur une base electro techno soufflait les braises ardentes du rock et du rap : Birdy Nam Nam, Kavinsky, Sebastian étaient les rois de la fête. DJ Mehdi et Pedro Winter fédéraient tout ce beau monde.
La sélection parisienne pour ces Nuits sonores avait été confiée au magazine Trax, alors emblème rayonnant de cette scène vivace et parmi les noms programmés à Lyon sur un même line-up dévastateur, on retrouvait ceux de Para One - le producteur de TTC -, du fleuron electro Automat qui avait démonté manu-militari le dancefloor ce soir-là, de Jennifer Cardini qui avait terminé cette nuit d’extase dansant debout sur les platines, coupe de champagne à la main, le jour se levant. Personne ne voulait s’arrêter de danser.
Juste avant Cardini, un duo avait littéralement incendié la friche investie alors par Nuits sonores : Justice. Leur album n’était pas encore paru - Cross sortira pile un an plus tard, pile 10 ans après Homework, mais ils étaient déjà en passe de devenir les Daft de la french touch 2.0, étaient hébergés par le label qui cassait la baraque et les codes à l’époque : Ed Banger, mené par Pedro Winter, encore lui ; le manager des sus-cités Daft Punk, cet éternel gamin ultra-fûté au flair inégalable, toujours là où il faut être.
Au sommet depuis près de 20 ans, Justice fusionnait bangers techno, funk à la Jackson 5 (le génial D.A.N.C.E.) et rock : sans rien écouter d’eux, en matant leur look, leur esthétique, leur croix chrétienne devenue logo mondialisé, on les aurait pris pour des descendants d’Iron Maiden et du glam…
Si l’énergie qui s’en dégageait était fort proche d’un groupe aux guitares incendiaires, mur d’amplis Marshall à l’appui (qui, pour l’anecdote, refuse de les sponsoriser), Justice n’en était pas moins un groupe bien plus subtil, déjà, sous la brutalité de certains hits - Stress bien sûr, clippé par Romain Gavras et ambigu sur l’ultra-violence qui s’en dégageait, mais aussi Waters of Nazareth qui fit beaucoup pour les différencier, dont même le très avisé Pedro ne voulait pas, et dont la sortie fut poussée par DJ Mehdi qui lui avait tout compris au côté disruptif du son de ce morceau.
Une attente qui était grande
Justice ne descendra jamais de son podium après cette série de coups de maîtres inauguraux, les menant à être aujourd’hui les leaders incontestés de la scène électronique hexagonale. Hyperdrama, quatrième album paru en avril de l’année dernière, les assoit définitivement dans la grande histoire des musiques électroniques.
Dense, variant encore un peu plus les influences, ultra-efficace et conviant quelques collaborateurs de choix - Tame Impala - le disque est présenté à Coachella, avant que la tournée mondiale ne débute ; elle passera donc par Lyon et la LDLC Arena en ce début février. Xavier de Rosnay et Gaspard Augé n’avaient rien sorti depuis huit ans (Woman, en 2016) et l’attente était grande.
Sur disque, elle est comblée. Sur scène, il reste quelques jours pour le découvrir et savoir surtout si leur public est aussi débordant d’enthousiasme et de folie qu’il l’était lors des premières années folles de leurs débuts, ou s’il s’est assagi, comme l’est l’époque actuelle, moins portée sur l’outrance festive.
Sébastien Broquet
Justice
Le 1er février à 20h. LDLC Arena, Décines.
62 €.