Nicolas Droin, directeur de l'Auditorium de Lyon : "nous sommes un lieu de musique, mais aussi de culture"

Nicolas Droin, directeur de l'Auditorium de Lyon : "nous sommes un lieu de musique, mais aussi de culture"
Nicolas Droin - DR Julien Benhamou

Un an après sa prise de fonction à la tête de l’Auditorium et de l’Orchestre National de Lyon en remplacement d’Aline Sam-Giao, Nicolas Droin dresse un premier bilan et évoque les perspectives futures d’une noble maison fêtant en 2025 ses cinquante ans d’existence.

Quel bilan tirez-vous de vos premiers mois à la tête de cette institution qu’est l’Auditorium de Lyon ?

Nicolas Droin : Ça fait pile un an que je suis arrivé : le bilan est plus que positif. Je m’en doutais, j’ai de la famille à Lyon, je venais constamment les voir ici et je connaissais donc la ville, l’Auditorium, Aline Sam-Giao [NdlR : l’ancienne directrice].Je ne peux que confirmer l’idée très positive que je me faisais de cette maison. La maison en question comporte deux piliers.

Bien sûr, l’orchestre : l’un des plus grands en dehors de Paris, d’un niveau artistique d’une qualité assez incroyable. Nous venons de sortir un nouveau disque sur Strauss et un très bon journal de Vienne vient de nous encenser. Se faire complimenter par un média de là-bas sur Strauss, en tant que Français, c’est pas mal !

Et ce bâtiment extraordinaire qu’est l’Auditorium ! Les Lyonnais et les Lyonnaises l’oublient peut-être : ça a été pendant très longtemps la plus grande salle en France de musique classique. Depuis l’ouverture de la Philharmonie de Paris il y a 10 ans, c’est la deuxième plus grande salle du pays avec 230 000 visiteurs par an et, certes, cette architecture marquante.

On aura avec ce geste architectural la même approche qu’avec Beaubourg à Paris : ça a pu déconcerter pendant des années et ensuite c’est devenu iconique. Cette architecture a de grandes qualités : la salle est très belle avec ses 2100 places ayant toutes une très bonne visibilité, une très bonne acoustique. Lyon doit être fière de l’Auditorium.

Pensez-vous que son image puisse s’améliorer ?

ND : Quand j’ai été nommé, tout le monde a cru que j’allais à l’Opéra ! Beaucoup de Lyonnais n’ont pas encore totalement identifié l’Auditorium. C’est lié à un parti-pris : la façade n’est pas sur la rue. On voit l’arrière, on se demande ce que c’est… C’est une architecture qui ne se décode pas facilement. Oui, on peut améliorer les choses : je prends ça comme un défi.

C’est intéressant, comment au bout de cinquante ans continuer à donner un éclat et aider à mieux identifier ce lieu ? C’est pour ça que l’on veut que ce bâtiment réponde présent pour tous les grands moments de la ville de Lyon. Pour la première fois cette année, on a accueilli une œuvre pour la Fête des Lumières.

Que souhaitez-vous amener ou changer pour apposer votre empreinte ?

ND : Je voudrais saluer le travail des équipes. Quand je suis arrivé, on a expérimenté beaucoup de choses. Par exemple, on a de plus en plus d’expositions dans nos espaces publics. Le musée d’Art contemporain nous prête des œuvres, souvent en lien avec notre programmation, comme en ce moment autour du thème “Amérique”. On a aussi proposé une conférence littéraire sur ce thème avec la Villa Gillet. Tout ça pour montrer que bien sûr, nous sommes un lieu de musique, mais aussi de culture. Ça va continuer.

Dans le cadre du cinquantième anniversaire, on va proposer une grande exposition sur la genèse de ce lieu. Cinquante ans, ce n’est pas si vieux, beaucoup d’abonnés sont venus me voir en me disant qu’ils étaient là pour le premier concert. Il s’agit pour nous de mettre en valeur ceux qui ont fait ce lieu. On va recueillir les souvenirs, c’est du patrimoine impalpable : comment les gens ont vécu ces premiers jours ?

Plus que jamais, nous voulons ouvrir l’Auditorium toute la journée. On va pouvoir s’appuyer sur la salle Proton-de-la-Chapelle qui a été inaugurée il y a quelques semaines. Elle va permettre de proposer des choses plus petites : jeune public, scolaire, conférences, des moments de musique de chambre ou contemporaine, des musiques plus exploratoires pour qui la salle de 2100 places serait trop grande. Elle va nous permettre d’aller plus loin sur l’ouverture aux répertoires, aux formes artistiques différentes et sur l’amplitude horaire.

Les ateliers pour les enfants ou d’éveil pour les bébés sont perpétuellement complets…

ND : On est victime de notre succès ! Effectivement, ces ateliers, quelques jours après leur mise en vente, sont déjà complets. On va continuer à les développer, oui, mais de deux manières : on a cette salle qui nous permettra d’en faire plus sur le site de l’Auditorium. Mais nous voudrions aussi aller au contact d’autres Lyonnais, plus éloignés, nous sommes en train d’évoquer la possibilité de faire des ateliers dans d’autres salles de la ville. En particulier pour ceux avec les plus petits : c’est plus pratique que ce soit à proximité des habitants.

Cette saison, nous avons lancé des collaborations avec le Palais de la Mutualité, nous avons participé à la réouverture de la salle Molière, aussi bien avec de la musique de chambre mais bientôt aussi avec des propositions jeune public, nous sommes présents dans un certain nombre de musées comme le MAC et le musée des Beaux-arts : tout ceci va être renforcé.

C’est un moyen de faire rayonner et connaître l’Auditorium, le “hors-les-murs” ?

ND : On a l’Auditorium et l’Orchestre National de Lyon. Transporter l’Auditorium, évidemment, c’est compliqué. Mais que les musiciens qui habitent ce lieu puissent se projeter ailleurs sur le territoire, oui évidemment c’est possible. Eux-mêmes portent une partie de notre image et l’on joue pleinement sur cette double capacité. L’ONL va proposer un certain nombre de projets partout dans Lyon. On a cette chance incroyable à Lyon d’avoir cet orchestre.

Quel regard portez-vous sur l’écosystème culturel à Lyon ?

ND : Cet écosystème est particulièrement intéressant. On a la chance d’avoir la bonne taille : des acteurs culturels de très haut niveau, bien évidemment je pense à nos collègues de l’Opéra, il y a La Trinité qui ouvre aussi. Dans le théâtre, Lyon ne manque pas de salles dirigées par des gens extrêmement talentueux, comme Pierre-Yves Lenoir ou Jean Bellorini — j’inclus Villeurbanne. On a les deux Biennales, les musées, les Nuits de Fourvière, Nuits sonores : une concentration d’acteurs de très haut niveau. C’est intéressant car on peut envisager des collaborations entre nous. L’offre est variée et de niveau international.

Moi qui viens de Paris, je m’en excuse presque maintenant, je vois que l’on a suffisamment d’acteurs avec qui réfléchir — je pense aussi aux Subs — et, en même temps, on n’est pas perdu dans une immense ville où il y aurait tellement d’acteurs que ça ne serait même pas intéressant d’aller coopérer. J’avais parfois ce sentiment à Paris où vous êtes toujours un petit poucet quoi que vous fassiez. Ici, il y a une vraie entente entre les institutions, une volonté de coopérer, d’aller parler à tous les publics.

Vous avez évoqué l’Opéra, disant qu’il était important d’avoir deux acteurs de haut niveau sur la musique classique. Il a pu être évoqué en coulisses — sans que rien ne soit lancé — que pour faire des économies, il faudrait peut-être fusionner les deux orchestres en prenant l’exemple de Leipzig : l’orchestre du Gewandhaus assure aussi les concerts à l’Opéra de Leipzig.

ND : On ne m’en a jamais parlé et ce n’est pas mon projet. Est-ce que les deux maisons ont un public ? À l’évidence, oui. Est-ce qu’elles ont un projet artistique fort ? À l’évidence, oui.  Aller toucher des structures artistiques qui marchent bien, avec une vision de fusion… c’est très dangereux.

Je salue le travail de l’Opéra, notre complémentarité est intéressante car nous sommes sur deux genres très différents. Oui, on essaye tous les deux d’amener le public vers la musique classique. C’est passionnant ! Chacun va avoir son approche et on va se compléter.

Demandez à des chefs d’entreprise si la fusion est la réponse à tout : vous verrez que ce n’est pas si simple. Quel projet artistique pour quel public et pour quel territoire ? C’est ça la question. Et toujours faire attention quand on touche à quelque chose qui marche : les concerts de l’Orchestre, c’est un taux de remplissage de 95 % ! On est dans un environnement économique excessivement difficile.

Bien évidemment, je comprends des élus qui ont la responsabilité de la meilleure utilisation possible des fonds publics et peuvent se poser la question d’économies. Dans nos structures, nous avons une obligation de bonne gestion, encore plus qu’ailleurs, car c’est de l’argent public. Que l’on puisse rapprocher des structures pour faire des économies, on peut regarder.

Mais l’Opéra de Lyon a une très belle image, l’ONL a un remplissage incroyable ! Nous faisons 160 concerts par an et l’activité de cette salle ne coûte pas d’argent à la Ville : au contraire, l’Auditorium et l’ONL ont une telle billetterie que l’orchestre lui-même génère un flux financier très loin d’être négligeable et qui aide à la vie de la maison. Nous remercions vivement la Ville et l’État pour leur soutien. Comme dans toutes les structures culturelles, nous avons des difficultés, mais effectivement nous avons la particularité d’avoir une activité de concerts qui est bénéficiaire.

Il n’y a que quelques orchestres en France, et peut-être même en Europe, qui ont cette capacité. Tout ce que l’on fait ici, on arrive à faire en sorte que ça ne coûte pas : il faut faire très attention à garder ça. Il vaut mieux optimiser quelque chose qui marche que tout casser et tout rebâtir.

Comment relier les mondes des musiques amateures et l’excellence de l’ONL ?

ND : On doit les relier. J’ai la vision d’une pyramide : des professionnels qui, depuis 20 ou 30 ans, travaillent tous les jours pour avoir un niveau incroyable, de niveau international. C’est la pointe de la pyramide. Mais elle n’existe pas si vous n’avez pas des gens qui ont une approche plus amateure.

Nous sommes très heureux d’avoir ici un travail constant avec les amateurs, avec l’orchestre de la Part-Dieu qui est un orchestre coaché par les musiciens de l’ONL. Et on a également le chœur de la Part-Dieu.  Et bien sûr, l'orchestre Démos avec les enfants, qui est extrêmement important et va être relancé en ce mois de janvier.

Un énorme succès, l’orchestre Démos !

ND : Voilà. Naturellement, ces amateurs jouissent de la proximité des professionnels. Et dans l’autre sens, les professionnels trouvent aussi quelque chose dans cette proximité avec les amateurs. Les deux se parlent. J’engage tout le monde à venir à notre concert participatif en juin : l’ONL est sur le plateau, plein d’amateurs entrent dans la salle avec leurs instruments et leurs partitions, on répète tous ensemble. Le chef se tourne et il dirige la salle en même temps que l’Orchestre joue : c’est le symbole de cette symbiose.

Un disque de l’ONL vient de paraître…

ND : Nous avons démarré une collaboration avec Channel Classics, une grande marque hollandaise, avec l’idée d’enregistrer les grands poèmes symphoniques de Strauss. Là, c’est le Don Quichotte. Nous voulons à chaque fois proposer un contrepoint, soit avec une œuvre française à peu près de la même époque, ou alors une œuvre contemporaine que l’on mettra en regard. C’est une manière de montrer l’éclectisme du répertoire de la maison.

Avec certes la force du répertoire allemand — nous sommes l’un des très rares orchestres en France à pouvoir aborder ce répertoire tout en étant encensé par les critiques —, mais aussi montrer que nous avons ces attaches avec la musique française qui reste dans notre ADN et avec la musique contemporaine.

Bien sûr, nous allons enregistrer la Fantastique. Ça sortira à la fin de l’été 2025. Mais il faut aussi faire découvrir d’autres pièces : c’est notre idée avec cette collection qui se poursuivra pendant quatre ou cinq années. 

Organiser des concerts de musique pop, pourquoi ? N’est-ce pas une concurrence vis-à-vis de salles de concerts dédiées à ce style ?

ND : Ça a été fait avant mon arrivée et je souhaite continuer. Je désire que l’Auditorium soit perçu comme un lieu de musique, certes avec l’ONL, mais aussi avec beaucoup d’autres artistes, ils sont les bienvenus et souvent on peut faire des collaborations, comme avec Souad Massi. On va le maintenir. C’est très important pour qu’il y ait plusieurs portes d’entrées : la moitié du temps c’est l’Orchestre, mais c’est aussi du jazz, de la pop, des musiques actuelles, des ciné-concerts… On a une proposition extrêmement variée et c’est important de garder ceci. Cette variété est source de renouvellement de public.

Est-ce que l’on fait concurrence ? Je ne pense pas. On remplit une case différente. Les salles de musiques actuelles sont plus petites, elles ont des propositions différentes avec des artistes en devenir. Ou alors, ce sont les énormes salles comme la Halle Tony Garnier et l’Arena. Nous sommes entre les deux, avec des noms connus ou bien des gens qui pourraient faire des Arena, mais souhaitent une approche plus qualitative. Notre offre est complémentaire. 

Vous-même, d’où venez-vous artistiquement ? Quelles sont vos sources d’inspiration ?

ND : Je suis un Parisien né à Marseille. J’ai passé mon enfance en Afrique : Maroc, Togo, Sénégal. D’où chez moi un éclectisme de goûts, un profond respect des autres cultures parce que j’ai moi-même habité ailleurs.

Je ne suis pas musicien, mais j’ai eu la chance de rencontrer de très grands musiciens, très jeune, quand j’étais étudiant et de redécouvrir la musique. Vous n’avez pas besoin d’avoir fait du piano dès 3 ans pour aimer cette musique. Je suis façonné par l’idée que l’on peut à tout moment la découvrir ou redécouvrir et c’est pour ça que nous devons ouvrir toutes les portes possibles. Nous devons à tout moment donner au public la possibilité de s’émanciper.

Propos recueillis par Sébastien Broquet

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