Zaho de Sagazan : "je suis passionnée par l’humain"

Zaho de Sagazan : "je suis passionnée par l’humain"
© Zoé Joubert

Zaho de Sagazan, cas à part : année folle, succès éclair, dates complètes un peu partout — dont évidemment la Halle Tony Garnier où la Bretonne se produira ce mercredi 11 décembre. Dix dates supplémentaires à l'Olympia de Paris viennent d'être annoncées pour clôturer sa tournée en 2025... Comment garder la tête froide ? On lui a téléphoné pour lui demander.

Quels sont les remèdes pour garder la tête froide après une telle année ?
Zaho de Sagazan : C’est une question d’entourage. Et de bonne éducation, aussi. Je ne me rends pas compte de tout non plus, on prépare notre tournée des Zénith, on travaille comme des acharnés pour être à la hauteur : il se passe tellement de choses que nous n’avons pas le temps de nous poser. Mais je pense que tout ça n’est qu’une question d’entourage, principalement.

Vous traitez de sujets sociétaux, de notre époque. Comment est-ce que vous vous documentez pour nourrir ces textes-là, quelle est votre méthode et à partir de quel moment vous sentez-vous prête à écrire sur un sujet ?
ZdS : Je ne sais pas si je me sens prête à écrire sur un sujet. J'essaye. Et je vois. J’ai énormément de chansons pas finies, où il n’y a qu’un couplet et puis je ne sais pas quoi dire, donc je n’écris pas la suite car je ne suis pas prête.

Comment je me documente ? J’ai la chance d’avoir beaucoup d’amis, de relations, je me nourris de ça. Ou alors de mon intimité, de mes doutes. 

L’observation, c’est ce qu’il y a de plus important pour un auteur. Et la compassion : la capacité de se mettre à la place de quelqu’un. Mais chaque chanson a tellement son histoire que c’est un peu compliqué… Par exemple, Je rêve, c’est sur le deuil et ça vient d’une rencontre avec l’amie d’une amie, au cours d’une soirée. Je me suis rendu compte, trois heures après, que cette fille avait perdu son mari un mois plus tôt dans un accident de voiture. J’imaginais la douleur que l’on peut avoir, comment on se reconstruit, je me disais que ça passait par le rêve. J’avais envie que les gens qui avaient vécu ça puissent se sentir accompagnés. 

La Symphonie des éclairs, c’est complètement autobiographique, c’est personnel. Ça dépend tellement des chansons ! Je suis passionnée par l’humain, je regarde les gens, je leur pose des questions. Parfois, des idées de chansons en surgissent.

Est-ce que vous faites partie des personnes qui prennent du plaisir tout au long du processus d’écriture, ou bien seulement à la fin, lorsque la satisfaction du travail accompli se manifeste après une fabrication un peu douloureuse du texte ?
ZdS : J’adore écrire ! Je peux passer cinq heures sur mon piano sur la même phrase, ça ne me dérange pas du tout. Même, ça m’excite ! J’adore quand l’écriture est un peu compliquée, j'ai comme l’impression de résoudre une équation, c’est mon côté matheux. Je me revois quand j’étais en DS de maths. Je cherchais des heures et une fois que je trouvais la réponse : oooh ! incroyable ! 

Et c’est parce que ça a pris du temps que la trouvaille est aussi agréable. J’adore écrire à mon piano. Là où ça peut être un peu plus douloureux, c’est au studio avec mes deux super copains Pierre et Alexis, quand on doit arranger les chansons.

Je n’écris pas beaucoup de chansons, quand j’en écris une c’est vraiment que je l’adore, c’est mon bébé. Et je vais passer tellement de temps à l’écrire, j’ai du mal à l'habiller ensuite — à figer la vie de mes chansons. À me dire qu’elles seront comme ça et pas autrement. J’ai tendance à vouloir faire 78 versions de chacune… Le studio, c’est un endroit où j'ai pas mal de doutes. 

Là, on était en train de faire les tableaux de lumières pour le show, j’adore faire ça aussi : pourquoi on le fait, qu’est-ce que ça veut dire. J’adore me poser des questions ! C’est un métier merveilleux.

En tant qu’artiste, avez-vous des devoirs : envers votre public, la société, votre équipe — qui sont initialement vos amis ?
ZdS : Des responsabilités, c’est sûr. Quand vous me demandez comment je garde la tête froide, c’est parce que je me sens obligée de la garder. Je sais que j’ai soixante personnes derrière moi et il y a un an, j’en avais quatre. C’est passé très rapidement à autre chose et j’ai envie de garder les amis que j’avais, je n’ai pas envie de décevoir qui que ce soit, c’est surtout ça. Un artiste, quand ça marche, il a de plus en plus de gens autour de lui. Son équipe, ses amis, son public. Et il y a donc de plus en plus de gens que l’on n’a pas envie de décevoir. 

La responsabilité d’un artiste vis-à-vis de son public est importante pour moi, je ne peux pas faire un texte qui... c’est important de savoir que les gens écoutent ces textes.

Là je viens d’arriver, mais quand je ferais mon troisième album, des gens m’auront écouté pendant dix ans, et si je dis quelque chose, ils vont l’entendre, le prendre plus profondément, je le sais. C’est important de se rendre compte du pouvoir que l’on a. La musique a un pouvoir, elle rentre dans l’âme. Nous on touche à ce pouvoir, il ne faut pas en faire n’importe quoi.

On a de la chance d'inspirer les gens. On me donne la parole, je suis sur une scène de Zénith devant des milliers de personnes qui m’écoutent, prendre ça à la légère, je vais juste me marrer avec mes potes… Non ! C’est important. Tu as une place pour faire du bien aux gens, il faut s’en rendre compte. 

On a une responsabilité sur tout, comme un professeur. Peu de gens ont de l’influence sur les autres, mais un professeur peut changer la vie d’un élève, comme un psy, un chanteur ou un politicien. Tous ces gens qui ont de l’influence sur les autres ne doivent pas le prendre de haut et réfléchir à bien l’utiliser. 

On a des responsabilités, il faut trouver un juste milieu entre ne pas trop se prendre au sérieux, ne pas se prendre pour le king et avoir la grosse tête, oublier qu’on est quelqu’un de normal. Mais bien prendre au sérieux ton métier, et le fait que ça a des répercussions qui peuvent être extraordinaires !

Lire notre article sur Zaho de Sagazan à la Halle Tony Garnier

Une étude scientifique américaine a récemment démontré que les thèmes des chansons s'assombrissaient de plus en plus : vous-même, souvent, vos textes ont un côté dark assumé. Est-ce qu’une réflexion peut débuter sur l’idée de faire un pas de côté et remettre de la joie au sein de vos textes dans le futur ?
ZdS : Je pense que c’est important d’écrire des chansons joyeuses. Mais je pense qu’il y a joyeux et joyeux. J’ai lu un article sur Katy Perry, qui est revenue — après avoir été une superstar — avec un côté très pop à l'ancienne. Ça n’a pas du tout marché, parce que c’était des textes très plats. Et que ça ne marche plus : les gens n’ont plus envie de ça. Je bronze au soleil”, tu vois, je crois qu’on n’a plus envie de ça…

Mais ce n’est pas des textes joyeux, dont ils n’ont plus envie ! On a besoin de joie dans l’espoir : une des chansons que je trouve les plus belles et que je chante tous les soirs, je finis toujours par elle avant de partir, c’est Ah ! Que la ville est belle de Brigitte Fontaine. Une chanson qui nous dit à quel point la vie est belle, mais avec une mélancolie. J’ai envie d’écrire des chansons joyeuses et je pense que mes chansons sont joyeuses.

Quand les gens viennent au concert, il y a de la joie. Ne te regarde pas, c’est joyeux ! Mais ce n’est pas une joie bisounours, car ce n’est plus l’époque, effectivement. C’est plus deep, surtout. Plus profond ne veut pas dire plus dark.

Mais effectivement, avec Stromae, Pomme, les nouveaux… il y a un besoin d'autre chose : c’est tellement la merde qu’on peut plus faire semblant. Mais c’est important les chansons joyeuses, il faut danser, et il y a de la joie dans ce monde-là, ce serait mentir de dire le contraire, sinon autant se barrer et tous en finir !  

Vous avez déclaré que dans une période où vous n’alliez pas bien, vous vous êtes mise au piano et avez commencé à crier. Aujourd’hui, le cri est revendiqué par des pop stars comme Taylor Swift, Olivia Rodrigo et d’autres, c’est un outil de revendication, de colère, d’émancipation féminine. Que représente le cri pour vous ? 
ZdS : Le cri… Il y a tellement différentes sortes de cri ! C’est une forme d’expression, c’est sûr. Ça peut être un cri de douleur, de joie. Ce qui est sûr, c’est que c’est un besoin de se faire entendre ! Certains cris, tu ne peux pas les contrôler, ils viennent… C’est l’idée même d’une tempête, elle ne choisit pas d’exploser. Mais c’est génial, un cri. Un cri de joie, j’adore ! Un rire très très fort. Un cri, c’est un besoin, pas une envie. C’est obligatoire.

Parlons du versant électronique de votre musique : on parle tout le temps de votre passion pour Kraftwerk, mais quels autres artistes issus de cette sphère écoutez-vous, et quelles machines aimez-vous manipuler pour créer ? Allez-vous aussi en club découvrir des DJs ?
ZdS : En club, pas du tout. Je n’ai pas le temps. Je fais la fête une fois par mois dans le tour bus, c’est tout ! Mais je suis allée en club, j’ai adoré ça, c’est comme ça que je me suis passionnée pour les musiques électroniques au début. Et après, en écoutant énormément d’artistes. 

Le premier personnage qui m’a fait me rendre compte que les synthétiseurs pouvaient profondément me toucher, c’est Koudlam. Un artiste de Grenoble, merveilleux, l’un de ceux que j’ai le plus écouté dans ma vie. Après j’ai découvert Kraftwerk, et grâce à Pierre et Alexis qui sont des passionnés, j’en ai écouté plein d'autres : Soulwax, énorme ! LCD sound-system... J’essaye de penser à tous ceux que j’adore. 

Il y a aussi la cold wave qui me passionne, c’est lié. On est très influencé par ça, quand on écoute notre musique électronique, on a évidemment ce côté techno / club, mais il y a aussi des trucs plus froids que l’on peut trouver dans la cold wave, comme John Maus, Grauzone que j’adore. On aime bien les trucs qui sont écoutés par trois personnes ! Mais les plus grands vraiment c'est Soulwax, on écoute ça H24 !

Quand j’ai écouté François de Roubaix, j’ai découvert une manière de faire de la musique et des synthés extraordinaire. Je pourrais encore parler de l’Italo disco, de New Order, il y a tellement de sortes de musiques avec des synthétiseurs... Autumn que j’adore, Black aussi — ce n’est pas de la musique électronique, mais les synthés prennent beaucoup de place. Todd Terje on adore, Anne Clark m’a complètement retourné : son côté musique électronique et son envie de dire les choses, de dénoncer. Et… Flavien Berger, français et fantastique. 

Le premier synthé où je me suis dit “oh putain il est fait pour moi !”, c’était le MS20. Un Korg, un modulaire. Mais il y a plein d’autres trucs qui nous intéressent. Le MS20 ne nous quitte jamais. Le ARP aussi. Et le Juno Basics, génial ! Le Prophet 100, on l’a loué il n’y a pas longtemps, c’est merveilleux. On est très années 1980, le moment où les synthés ont des sons merveilleux.

Pour la réédition de l’album, avec des inédits qui partent beaucoup plus dans la musique électronique, on s’est permis de faire danser beaucoup plus les synthétiseurs et on a loué ces synthés des années 1980, comme le Prophet 5, le CS70, que des basiques. Et putain qu’est-ce que c’est magnifique, ça change tout ! Des sons qui rendent fous !

C'est pareil que pour choisir une phrase : je peux passer deux heures à choisir un son de synthé. C’est génial ! Je peux passer des années à créer, c’est parfait car c’est ce que l’on me demande de faire dans ce métier ! 

Propos recueillis par Sébastien Broquet

Quand ? Mercredi 11 décembre à 20h
Où ? Halle Tony Garnier ; 20 place docteurs Charles et Christophe Mérieux ; Lyon 7e
Combien ? De 39 à 49 € ; complet

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