Un Wozzeck sous surveillance à l’Opéra de Lyon

Un Wozzeck sous surveillance à l’Opéra de Lyon
Attention aux écrans ! © Jean-Louis Fernandez

Richard Brunel se sort bien d’un classique du répertoire signé Alban Berg, révolutionnaire en son temps aussi bien par sa musique que le profil de son héros. Toujours d’actualité.

Cet opéra de Richard Brunel, finalement, n’est pas si éloigné d’un match de l’Olympique Lyonnais : inquiétant au début, enthousiasmant au finale… Car il faut bien avouer que lors du premier tableau, on craint l’ennui ; effrayés par ce climat glacial façon République Démocratique Allemande instauré via l’éclairage glauque de néons blanchâtres et un décor très minimaliste où rôdent un moustachu plus risible que viril et un scientifique visiblement tordu et dépourvu, évidemment, d’empathie. Ces néons blafards et ce minimalisme des temps modernes, on l’a déjà vu dans ce même opéra dans un passé récent, au sein d’œuvres qui nous avaient laissé…  de marbre.

Alors, la méfiance s’installe. On se concentre sur ce Wozzeck, soldat subissant plus ou moins volontairement les expériences menées sur lui, à la façon d’un testeur de traitements médicaux pas vraiment volontaire, acculé par le besoin d’argent qu’il se doit de ramener chez lui. Jamais assez. Pouvoirs politique, religieux, militaire et scientifique s’allient pour l’utiliser, l’aliéner, l’anéantir. Pas si éloigné d’Alex DeLarge, le personnage inventé par Anthony Burgess dans son Orange Mécanique, ce Wozzeck… 

On reste scotché plusieurs fois à regarder fixement un personnage qui n’est pas dans le livret, nous détournant de la scène car il est suspendu au plafond : une sorte de robot-projecteur mouvant, suivant sans cesse de sa lumière Wozzeck ou sa femme Marie, dansant parfois en solitaire, sans que l’on sache vraiment si c’est une caméra de surveillance ou un projecteur de laboratoire. Les deux, sans doute. Et cette trouvaille de mise en scène, la meilleure, nous immerge pour de bon dans un univers oscillant entre Kafka et Philip K. Dick. Brillant.

Tout est filmé et rien de la vie de Marie, de Wozzeck ou de leur enfant n’est dans l’ombre, tout est observé, contrôlé, on ne sait trop dans quel but — sinon de se moquer, car c’est ainsi que le mari désappointé apprendra son cocufiage par un Tambour-Major (Thomas Watson) recyclé en installateur de vidéo-surveillance profitant du désarroi et de l’ennui fatal de Marie.

Sans que l’on se souvienne vraiment à quel moment c’est arrivé, on plonge dans l’intensité de l’intrigue. Oubliés, les doutes initiaux. Nous sommes emportés par ce duo d’interprètes majestueux que sont le baryton lyonnais Stéphane Degout, qui confirme-là que le rôle lui va comme un gant, et la soprano canadienne Ambur Braidqui vont faire chavirer la salle — l’ovation, au finale, était aussi sincère que surprenante, face à la noirceur du livret et l’accès difficile à une composition qui n’est pas citée en vain comme étant la première d’avant-garde pour un opéra. 

Alban Berg n’a pas facilité la tâche des metteurs en scène s’emparant de son œuvre, les inspirations venues de son maître Arnold Schönberg l’ayant conduit vers une certaine radicalité musicale. Si brillante qu’elle soit, cette partition de 1925 n’en est pas moins difficile d’accès. Daniele Rustioni s’en est plutôt bien emparé. 

Brunel a trouvé son rythme, il fait monter la pression, maîtrise le tempo de nos émotions. On ne se tord plus le cou pour regarder les sous-titres — le livret est en allemand —, l’intensité du jeu et la scénographie désormais aussi simple que truffée d’idées achèvent de nous convaincre. 

Mention spéciale à la belle scène de bal, avec des musiciens de l’orchestre montant sur scène (Berg a noté sur son livret, à la note près, le moment où ceux-ci peuvent quitter la scène et redescendre dans la fosse), où le désespoir de Wozzeck transperce le cœur. 

Ballotté de toutes parts, tourmenté par toutes et tous : la folie s’est déjà emparée de lui. Tout ça finira très mal, bien sûr. Wozzeck a beau être le pauvre inaugural, le premier misérable à être le héros d’un opéra, on ne pourra même pas lui accorder notre pardon.

Sébastien Broquet

Wozzeck, d'Alban Berg ; mise en scène de Richard Brunel ; direction musicale Daniele Rustioni
En allemand surtitré en français ; durée 1h35 sans entracte
Quand ? Jusqu’au dimanche 14 octobre
Où ? Opéra de Lyon ; 1 place de la Comédie ; 69001 Lyon
Combien ? De 10€ à 116€ ; réserver sa place

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